MOÏSE TSHOMBE : 56 ans après sa mort

La RDC refuse toujours de rapatrier la dépouille du sauveur trahi

Le 26 juin 1964, Moïse Tshombe rentrait d’exil pour sauver un État en perdition. En moins d’un an, il redonne au Congo une armée fonctionnelle, reconquiert le territoire, gagne les élections. Mais son ascension fulgurante dérange. En 1965, Kinshasa le révoque. En 1967, il est kidnappé. En 1969, il meurt, en captivité, en Algérie. Cinquante-six ans plus tard, le silence honteux de l’État congolais continue de peser sur le sort de sa dépouille, toujours inhumée loin de sa terre natale. Une page d’histoire douloureuse, révélatrice d’un pays en panne de mémoire et de réconciliation.

Un exil imposé, une fin tragique

Après sa révocation brutale par Kasa Vubu et le coup d’État de Mobutu, Moïse Tshombe se réfugie en Espagne. Il y vivra en exil, sous protection relative, poursuivant son opposition à distance. Mais le 30 juin 1967, alors qu’il voyage à bord d’un avion affrété depuis Ibiza, son appareil est détourné vers Alger par un mercenaire belge, Francis Bodenan, agissant selon plusieurs sources avec la bénédiction de services occidentaux et congolais.

En Algérie, Tshombe est arrêté, placé en résidence surveillée, puis incarcéré à l’hôpital militaire de Birmandreis sous prétexte de soins. Il y mourra le 29 juin 1969, dans des circonstances troubles, à seulement 49 ans. Certaines rumeurs évoquent un empoisonnement lent. Ce qui est sûr : il n’a jamais été jugé, ni libéré, ni rapatrié.

Un silence d’État, une complicité historique

Après sa mort, aucun gouvernement congolais, ni celui de Mobutu, ni ceux qui ont suivi, ne s’est engagé sérieusement pour rapatrier son corps.Aucun monument national [à part celui mal entretenu et érigé à Lubumbashi à la place qui porte son nom grâce à un de ses fervent disciple, Gabriel Kyungu, Ndlr], aucune commission officielle de vérité, aucun acte symbolique de reconnaissance. Pourtant, la conférence nationale souveraine (CNS) avait même voté une résolution quant à ce qui est aussi restée lettre morte. Félix Tshisekedi dont le géniteur est ancien élu de la CONACO pourrait faire valoir la cause.

Pire encore : à Lubumbashi, sa ville d’attache, son nom reste tabou dans certaines sphères officielles. Le héros est resté prisonnier du narratif imposé par ses vainqueurs. Pourtant, que l’on ait aimé ou haï Tshombe, une chose est claire : l’histoire ne peut être effacée au nom de la rancune politique.

Une nation qui trahit sa mémoire

On pourrait dire que Moïse Tshombe était controversé dans une certaine mesure. Sécessionniste au départ, il est aussi le seul à avoir reconstruit l’autorité de l’État congolais en moins de 18 mois, sans massacres, sans confiscation du débat démocratique, sans culte de la personnalité. C’est ce mélange d’efficacité et d’indépendance qui a signé sa perte.

Mais au-delà de sa trajectoire, l’abandon de sa dépouille à l’étranger est un symptôme d’un mal plus profond. Il s’agit sans doute de l’incapacité de la République à faire la paix avec elle-même. Tant que la nation congolaise refusera de traiter équitablement tous ses enfants, même post-mortem, la cohésion nationale ne pourra être qu’un vœu pieux.

56 ans plus tard, que dit ce silence ?

Aujourd’hui, la RDC parle de « vivre-ensemble », de « réconciliation », de « construction d’un État-nation ». Mais que valent ces slogans quand un ancien Premier ministre, mort en exil, n’a toujours pas trouvé de tombe chez lui ? Quand l’histoire continue d’être écrite à coups de gomme et de caricatures ?

Rapatrier le corps de Moïse Tshombe ne serait pas un acte politique — ce serait un devoir historique, un geste de justice mémorielle, un signal fort que le Congo n’a plus peur de son passé.

Tshombe, un test pour notre maturité

Dans un pays qui a souvent célébré ses victimes plus que ses bâtisseurs, l’amnésie devient un outil de pouvoir. Rendre à Tshombe sa place dans le récit national, c’est reconnaître qu’on peut être à la fois controversé et utile, critiqué et fondateur. C’est aussi dépasser les clivages ethniques et régionaux qui continuent de miner l’unité nationale.

Tant que Moïse Tshombe continuera de dormir en Belgique, le Congo-Kinshasa enverra au monde le message qu’il n’a toujours pas fait la paix avec lui-même.

 « L’État congolais n’a pas seulement abandonné Tshombe vivant. Il a aussi abandonné son cadavre. C’est plus qu’une erreur : c’est une faute. ».

La rédaction

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