Soixante-cinq ans après le 30 juin 1960, la République Démocratique du Congo peine encore à porter dignement le fardeau de son indépendance. Souveraineté fragile, démocratie intermittente, prospérité sans partage… Le tableau d’ensemble reste tristement inchangé : une nation théoriquement libre, mais toujours prise au piège de ses propres contradictions, otage d’élites prédatrices et d’intérêts étrangers.
Deux héros nationaux, Patrice Emery Lumumba et Laurent-Désiré Kabila, morts tragiquement dans des circonstances mêlant impérialisme et trahison intérieure. Cinq présidents plus tard – dont deux issus d’élections largement contestées – le cycle des espoirs vite déçus et des renouveaux factices se poursuit, au rythme des réformes creuses et des alternances truquées. Le pays, grand comme un continent, foisonnant de richesses naturelles, semble n’exister que pour enrichir une poignée d’individus et entretenir les privilèges d’un pouvoir déconnecté.
La jeunesse, qui devrait être le moteur du changement, est trop souvent instrumentalisée, fanatisée, abrutie par des discours claniques ou des slogans populistes, quand elle n’est pas achetée à vil prix. On célèbre l’indépendance cha cha chaque année avec des fanfares et des discours creux. Pendant ce temps, les hôpitaux meurent, les routes s’effondrent, et les universités se vident de leur substance.
En 65 ans, la RDC n’a pas manqué d’occasions de redécoller. Mais chaque tentative de redressement a été sabotée par un système où la médiocrité est récompensée, où la trahison est routine, et où le mensonge est devenu instrument de gouvernance.
Tant que l’indépendance ne sera pas une réalité vécue – économique, politique, culturelle –, tant que le peuple congolais ne se lèvera pas pour exiger des comptes, et surtout pour les obtenir, la RDC restera cette tragédie géante qui oscille entre promesses inachevées et cauchemar sans fin.
Il est temps, non pas seulement de commémorer le passé, mais de l’interroger avec lucidité et colère. Car la vraie indépendance ne se décrète pas : elle se conquiert. Et cette conquête est encore devant nous chers compatriotes.
Tribune
RDC – Dialogue national : Tshisekedi veut parler… tout seul
Paradoxal, ce pouvoir congolais. Il appelle à la paix, mais muselle la contradiction. Il convoque les Églises pour parler de dialogue national, mais leur sert un monologue soigneusement verrouillé. La rencontre du 21 juin entre le président Félix Tshisekedi et les représentants des Églises catholique et protestante avait tout pour être un tournant. Elle n’aura été qu’une déclaration de principes flanquée d’une liste noire.
La vérité est crue mais simple : le président ne veut pas d’un vrai dialogue, mais d’un huis clos entre convaincus. Un dialogue sans Fayulu, sans Matata, sans Kamerhe, sans Katumbi, sans Naanga, sans Kabila ou ses fidèles, sans les têtes brûlées de la société civile… Bref, un dialogue sans le pays réel, mais avec quelques figures lisses du consensus.
Or un dialogue sans ses adversaires, c’est une messe sans pécheurs, un rituel de purification sans saleté à laver. Et donc, une farce. A quoi aura servi une rencontré de 2 heures que l’on a voulu gardé secrète ?
Les Églises congolaises, surtout la CENCO et l’ECC, entrent en terrain glissant. Elles veulent rassembler, mais risquent d’être instrumentalisées. Car dialoguer dans les conditions imposées par la présidence, c’est valider l’idée que certaines voix sont inéligibles à la réconciliation. C’est travestir la médiation en participation. Elles deviennent alors caution morale d’un processus politique sélectif, mieux exclusif. Comme qui dirait : « venez nombreux, mais pas tous. Car, la recette voudrait un huis clos pour éviter les échos »
Et pourtant, le pays a besoin d’un vrai dialogue. Pas pour des postes ou un partage de pouvoir – mais pour la vérité, la justice, l’avenir commun, car tous les indicateurs sont au rouge. À quoi bon gouverner seul si la nation se fracture chaque jour en silence ? À quoi bon contrôler les institutions si les cœurs et les esprits se ferment ?
Félix Tshisekedi est un président réélu, mais pas réconcilié avec tous. Il gouverne, mais n’écoute qu’un cercle réduit. Il agit, mais dans la solitude d’une Union sacrée devenue un labyrinthe d’ambitions. Alors il redoute un dialogue qui lui échapperait. Il préfère le contenir, l’assécher, le réduire à un cadre utile à ses intérêts. C’est une stratégie. Mais c’est aussi un aveu de faiblesse.
Car un pouvoir fort n’a pas peur du désaccord, il l’affronte. Un président confiant n’écarte pas les voix critiques, il les défie dans la lumière. Refuser le vrai dialogue, c’est ouvrir un autre : celui de la rue, du silence tendu, de la colère sans micro.
La crise de confiance en RDC ne se réglera pas par des arrangements de salon. Elle exige un acte politique fort, courageux : regarder dans les yeux ceux qu’on exclut, écouter même les outrances, et chercher une issue ensemble. Cela s’appelle gouverner. Cela s’appelle aimer son pays plus que son pouvoir.
L’Église a lancé l’idée. Le peuple en ressent le besoin. Le président, lui, tergiverse, filtre, contrôle.
Mais qu’il se souvienne : un dialogue qu’on bride finit toujours par revenir, ailleurs et plus fort – souvent trop tard.
Jeef Mwingamb