Une page se tourne à l’Inspection Générale des Finances (IGF) en République démocratique du Congo. Après 35 années de service, dont quatre comme figure de proue dans la croisade contre la ‘’corruption’’, Jules Alingete a officiellement cédé son fauteuil à son successeur, Christophe Bitasimwa Bahii, lors d’une cérémonie empreinte de solennité, jeudi 15 mai à Kinshasa.
Ce passage de témoin n’est pas anodin. Il symbolise bien plus qu’une transition administrative. Cela marque potentiellement un tournant dans la gouvernance financière du pays.
Alingete, l’homme d’une époque !
Depuis sa nomination en 2020, Jules Alingete a redéfini le rôle de l’IGF, jusque-là perçue comme une institution technique marginale. En quelques années, elle est devenue l’un des centres névralgiques du pouvoir exécutif sous le régime Tshisekedi. Grâce à une communication frontale, parfois jugée brutale, Alingete s’est bâti une stature de justicier financier, n’hésitant pas à qualifier certains gestionnaires publics de « prédateurs » ou de « criminels en cravate ».
Son bilan, certes indéniable, mais contrasté : 1,5 milliard de dollars de dépenses irrégulières bloquées en 2023, un accroissement spectaculaire des liquidités publiques, notamment avec le passage de la trésorerie des établissements publics de 180 millions à 2 milliards de dollarsentre 2021 et 2024, malheureusement sans suggérer un impact réel sur le panier de la ménagère. Son engagement dans la mobilisation citoyenne a été inédite autour de la lutte contre la corruption. Mais ce zèle a aussi généré des remous.
Le côté sombre de son mandat se résume par l’accusation de partialité qui agissait sélectivement surtout en traquant les adversaires politiques. La Cour des comptes qui l’a visé par une enquête en 2024, a sensiblement terni son image. C’est ce qui expliquerait son départ précipité de la tête de l’IGF, indiquent les sources. Ceux pour qui il a servi ont peut-être vite vu la compromission arrivée. Alingete laisse un héritage puissant mais clivant, car soupçonné d’instrumentalisation politique. Chose que l’ancien ministre des finances Nicolas Kazadi a bel et bien confirmé lors de sa retentissante sortie médiatique.
Jules Alingete laisse donc derrière lui un héritage ambivalent : celui d’un homme qui a dynamisé une institution clé, mais dont le style et les méthodes ont aussi cristallisé des tensions.
Bitasimwa, un choix stratégique
En nommant Christophe Bitasimwa, le président Félix Tshisekedi semble envoyer un signal de continuité, mais aussi de tempérance, à en croire les coulisses de l’inspection générale des finances. Docteur en économie, cet ancien chef des brigades provinciales de l’IGF, n’est pas un arriviste, plutôt un homme du sérail, rompu aux rouages internes du service. Lors de la remise et reprise, il a salué le travail de son prédécesseur tout en promettant de maintenir le cap, rapporte l’ACP.
L’enjeu sera double pour le nouveau patron de l’IGF : préserver les acquis tout en rééquilibrant l’image de l’institution déjà truffée d’accusations de corruption et d’enrichissement illicite. L’IGF doit demeurer un pilier de la moralisation de la vie publique sans devenir un instrument de règlements de comptes politiques.
Quel avenir pour la gouvernance financière ?
La transition Alingete–Bitasimwa intervient dans un contexte d’attentes fortes. La population, épuisée par les détournements, la mauvaise gestion et la kermesse des surfacturation , exige des résultats tangibles, mais aussi de la justice et de l’équité. Le style flamboyant d’Alingete a sans doute marqué une époque, mais il a aussi laissé une marge étroite pour l’apaisement et le consensus à son profit personnellement. N’a-t-il pas déclaré que des millions de dollars ont été volé dans certaines province (Haut-Katanga, Lualaba, Tanganyika, Equateur, pour ne citer que celles-là, Ndlr). Il a laissé impunis tous les concernés. Et pourquoi donc ? Voilà le hic !
Bitasimwa saura-t-il incarner une autorité ferme mais plus institutionnelle, capable de restaurer la confiance à l’intérieur même de l’appareil d’État ? Sa réussite dépendra de sa capacité à conjuguer rigueur, indépendance et diplomatie.
Betunga Nkeka