L’annonce à partir de Kisangani par le Président Felix Tshisekedi, de sa décision de changer ou de revisiter la Constitution de la République Démocratique du Congo (RDC) soulève déjà à la fois un tôlé et la levée de bouclier au sein de la classe politique et de la société civile.
Nombreux estiment que le pays traverse une période marquée par des tensions avec la guerre dans sa partie Est et des défis économiques et sociaux sans précédent qu’il faille d’abord résoudre. Le projet du président de la République que voudrait piloter sa famille politique est jugée « impopulaire et malveillant » quant à l’intention des auteurs de ce projet et du moment choisi. Cette manœuvre semble davantage, croit-on, être une tentative de se maintenir au pouvoir que de répondre aux besoins fondamentaux de la population
Historiquement, l’UDPS était en tête de fil de ceux qui s’opposaient à la révision de la constitution en 2014. Certains Congolais avaient même perdu la vie dans cette mouvance presque manipulatrice. L’UDPS critiquait la précédente gouvernance pour son incapacité à résoudre les problèmes sociaux de la population en se présentant comme une alternative crédible. Elle affirmait que la constitution n’était pas la source des maux du pays. Ce discours, qui mettait l’accent sur l’amélioration de la vie sociale et économique des citoyens, a aujourd’hui fait place à une stratégie de maintien au pouvoir en usant des contrevérités d’une manière éhontée.
La position du leader de l’opposition d’alors, Etienne Tshisekedi [père de l’actuel Président de la République démocratique du Congo] était sans détour. Dans un langage catégorique et tranchant, Félix Tshisekedi en son temps s’en était pris farouchement à son prédécesseur Joseph Kabila à plusieurs reprises lors de ses interventions dans les médias comme dans des meetings. « Problème ya Congo ezali problème ya constitution té. Problème ya Congo ezali nzala ya ba Congolais. Problème ya Congo ezali misala ya ba Congolais. Problème ya Congo ezali kelasi ya bana. Problème ya Congo ezali ba soins de santé. Problème ya Congo ezali to tia nanu Congolais liboso sikoyo ba paya baya na sima », avait-il déclaré en lingala [traduction : le problème du Congo n’a rien à voir avec la constitution. Le problème essentiel c’est la faim, l’emploi, la scolarité des enfants, les soins médicaux. Le problème est de prioriser d’abord les Congolais avant les étrangers]. Qu’il dise aujourd’hui à son dernier mandat en cours que la Constitution de la RDC pose des problèmes et empêche sa gouvernance, cela parait être une remise en cause grave après 6 ans de règne. A l’allégation selon laquelle l’actuelle constitution a été rédigée à l’étranger par des étranger, le Pr August Mampuya recadre le président Tshisekedi : « Faux et archifaux » [On y revient avec son entretien accordé à la radio kinoise Top Congo].
La dernière sortie médiatique de Kisangani dans la province de la Tshopo paraît décisive pour Félix Tshisekedi d’en finir avec la constitution du 18 février 2006. Avec un ton presque moqueur à l’endroit d’une catégorie des compatriotes, Felix Tshisekedi a déclaré que l’actuelle constitution appartient tantôt ‘’aux belligérants’’, tantôt aux ‘’étrangers’’. Quand bien même les réactions intelligibles pour le contredire n’ont pas tardé.
« Lorsque j’évoque de modification que je juge utile pour la bonne marche de la nation, du pays je me préoccupe très peu de la polémique. Je n’y regarde même pas parce qu’évidemment il y a toujours des petits malins qui vont essayer de détourner mes propos et essayer de les amener dans une polémique inutile », a déclaré Félix Tshisekedi à Kisangani se refusant bien entendu toute contradiction
Pour le président Tshisekedi, il ne s’agit de revoir le nombre et la durée des mandats. « Je n’ai jamais dit que je vais changer la constitution pour rajouter le nombre des mandats présidentiels ou d’années. D’abord ce sont des dispositions inamovibles. Pour les changer, il faut retourner auprès du peuple souverain primaire. Mais pas par contre les autres dispositions qui nous posent des problèmes », a-t-il renchéri pour accréditer sa thèse. Félix Tshisekedi voudrait mettre sur le dos de la constitution les lourdeurs politiciennes dues aux comportements insouciants et autres manœuvres de vouloir tout contrôler lors de la période électorale pour justifier la modification de la constitution.
L’autocontradiction de l’UDPS
Opposant farouche, contradicteur patenté et donneur de leçons de morale quant à la marche de l’Etat et la gouvernance de la nation, l’union pour la démocratie et le progrès social (UDPS/Tshisekedi) opère un revirement spectaculaire en affichant des contradictions du prestige de sa propre lutte de 3 décennies environ.
L’on se souviendra qu’au cours d’une conférence-débat à l’université de Kinshasa, le Pr André Mbata Mangu, présenté comme un expert constitutionnaliste et savant de l’UDPS/Tshisekedi déclarait urbi et orbi le 18 février 2023 que : « la Constitution que je tiens dans ma main, c’est la meilleure constitution jusque-là que notre pays la République démocratique du Congo a connu depuis son accession à l’indépendance le 30 juin 1960 (…) elle est meilleure parce qu’elle pose les principes fondamentaux de l’Etat de droit du constitutionnalisme. Elle protège également d’une manière particulière les droits auxquels les Congolaises et Congolais peuvent exercer dans notre pays qu’aucune autre auparavant. Dans le préambule, elle stipule clairement qu’elle est le résultat du peuple (…) ce n’est pas la Constitution d’un individu, c’est la nôtre ». Voilà qui étonne plus d’un citoyen quant à l’intention actuelle en début du deuxième mandat de Félix Tshisekedi de prétendre que la Constitution de 2016 qui l’a porté au summum de l’Etat soit à la base de la banqueroute générale actuelle.
Le peuple auquel fait allusion André Mbata, aspire plutôt à une gouvernance transparente et responsable. Il ne trouve donc pas opportune cette démarche du parti au pouvoir qui voudrait embrigader d’une manière téméraire toute la nation dans un prétendu ‘’testament’’ de leur fondateur. Même si ce testament existe, la République n’appartient pas à l’auteur présumé de ce testament, rétorque-t-on.
Pour l’opinion publique, le mieux à faire est de revoir la gouvernance actuelle qui est caractérisée par plusieurs scandales de corruption qui gangrènent les institutions publiques, de détournements massifs doublés d’impunités, de réduction de l’espace démocratique, de musellement des médias, des arrestations arbitraires des opposants ainsi que des activistes de la société civile, des tueries sommaires et autres violations flagrantes des droits de l’homme. C’est ce qui justifie la conjoncture où tout est en déroute.
Vu le tableau sombre ainsi décrit, la décision de réviser la constitution apparaît comme un véritable quiproquo. Car, les priorités devraient être redirigées vers des réformes structurelles et des mesures concrètes visant à améliorer le quotidien des Congolais.
Du testament d’Etienne Tshisekedi, dixit Kabuya A.
Comme les soubresauts d’un naufragé, Augustin Kabuya, dans une note circulaire non datée, invite les militants de son parti « à mobiliser et à conscientiser la base du parti, afin d’imprégner aux militants le bien-fondé de la mise en œuvre du processus de révision de la constitution (…) ». Dans ladite circulaire, le désavoué Kabuya fait savoir que la révision de la Constitution est le ‘’ testament d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba. Qu’à cela ne tienne. Où est l’intérêt des Congolais dans tout ça ?
Pourtant, le même sphynx de Limete répondant à une journaliste, déclarait sans détour que : « Une fois l’UDPS au pouvoir on doit mettre sur pieds un état de droit. Celui où tout le monde respecte la loi. Ce n’est pas pour rien qu’on fait des Constitutions. l’UDPS sera le premier parti à respecter la Constitution et la loi. Dès qu’on respect la Constitution et la loi, sachez qu’en ce moment-là c’est la participation à la gestion du pays de l’ensemble de notre peuple dans la liberté et la justice ». La vidéo attestant cette interview existe. Augustin Kabuya peut-il à son tour prouver aux yeux de leurs propres combattants ne fut-ce que par respect à l’illustre disparu ?
On assiste à une forte agitation populiste dans les rangs du parti au pouvoir : matinée politique par ci, meeting par là. A Lubumbashi des caravanes sonorisées sont organisées pour préparer les esprits à un coup de force. Des moyens du trésor sont mis à profit au détriment des fonctionnaires en province restés impayés durant plusieurs mois.
La majorité silencieuse observe
Les Congolais se demandent si les leçons tirées des erreurs passées sont réellement intégrées par ceux qui prônent aujourd’hui une révision constitutionnelle sans raison valable. Surtout quand cela vient des dirigeants du parti jadis phare de l’opposition, UDPS, autrefois porteurs d’un discours de changement, qui semblent maintenant prêts à sacrifier les aspirations populaires sur l’autel des ambitions politiques démesurées. Ce revirement catastrophique, pensent certains analystes, illustre une déconnexion alarmante entre les élites politiques [regroupées au sein de l’union sacrée] et les réalités vécues par la population d’une part, et le déraillement de ce parti, hier donneur des leçons.
Pourtant tout est réglé dans la même constitution diabolisée
La RDC étant une démocratie constitutionnelle, disait le Président honoraire et Sénateur à vie, Joseph Kabila Kabange, des questions en rapport avec le fonctionnement de l’Etat ont déjà des réponses appropriées. Parlant devant le Congrès lors de la fin de son mandat par rapport à ceux qui se préoccupaient de son avenir politique, le Raïs déclarait ceci : « la RDC est une démocratie constitutionnelle. Les questions pertinentes relatives au sort des institutions et leurs animateurs sont réglés de manière satisfaisante par la Constitution. La préoccupation majeure, la seule qui soit légitime devrait donc être, et demeure plutôt celle de savoir quel avenir que nous voulons offrir au Congo et aux Congolais ».
Voilà qui fait principalement craindre la possibilité de balkanisation du pays, même si on ne veut pas trop en parler. Le pays étant déjà fragilisé par des conflits internes en veilleuse, des tensions politico-ethniques, l’existence des groupes armés actifs dans plusieurs provinces et la guerre d’agression dans la partie Est constituent des défis sécuritaires importants à ne pas négliger. Somme toute, un changement constitutionnel non justifié pourrait exacerber les divisions régionales et communautaires et aggraver aussi la situation en suscitant des réactions violentes des factions opposées, pensent certains observateurs avertis.
L’instabilité des institutions est également au cœur des préoccupations. La majorité des Congolais craignent que la révision constitutionnelle ne serve à renforcer le pouvoir exécutif au détriment des instances législatives et judiciaires. Et surtout à offrir sur un plat d’or la possibilité de s’éterniser au pouvoir. Une telle dérive pourrait mener à une concentration du pouvoir, compromettant les principes démocratiques et l’état de droit dont on claironne tant.
La peur est donc palpable : des voix s’élèvent pour dénoncer un risque de fragmentation qui mettrait en péril l’unité nationale. Plus de 6 décennies, les Congolais aspirent à un avenir stable et prospère, fondé sur le respect des droits et l’unité nationale. Il est impératif que les dirigeants prennent en compte ces inquiétudes et agissent dans l’intérêt de tous, afin d’éviter des conséquences désastreuses qui peuvent encore faire reculer le pays.
Jeef Mwingamb