RDC : Tentative d’évasion à Makala, un acte de sabotage ?

La prison centrale de Makala à Kinshasa a été le théâtre d’un véritable carnage parmi les détenus et laissé de nombreux blessés à la suite d’une tentative d’évasion déclarée durant la nuit du 1er au 2 septembre 2024 [qui se serait poursuivi un jour après]. Les détails sont encore flous et aucun bilan officiel final n’a été publié. Et ce malgré l’annonce de la mise en place d’une commission d’enquête. Le Vice-premier ministre et ministre de la Justice et Garde des Sceaux Constant Mutamba parle d’un acte de sabotage. Les Ong de défense de droits de l’homme et les médias indépendants avancent un acte prémédité et planifié. 

 Le sol congolais continue à absorber le sang de ses filles et fils suite à la mauvaise gouvernance de la res publica et au non-respect des droits humains. Outre la guerre à l’Est et l’activisme de Mobondo à Kwamouth dans le Grand Bandundu qui continuent à faire des victimes en surnombre, dans le reste du pays. La perte des vies humaines semble ne pas inquiéter les dirigeants au plus haut sommet. Dans l’espace de 2 semaines, après des tueries impunies de Kilwa dans le Haut-Katanga et de Luilu  dans le Lualaba par des hommes en uniforme, c’est le tour du carnage dans la prison centrale de Makala dans la capitale congolaise. Ce qui ravive les tensions et les inquiétudes sur les droits humains en République Démocratique du Congo et la problématique de la gouvernance par l’actuel régime.

On dirait un fait banal qui n’émeut aucune conscience. Les congolais de la capitale se sont seulement réveillés le lundi de la rentrée scolaire sous des crépitements des balles. Motif avancé : il y aurait une tentative d’évasion au contour flou. Personne n’a été tué en dehors de la prison. Entre temps, des cas flagrants de viols ont été enregistrés parmi les pensionnaires féminins. Voilà qui soulève des suspicions. 

Bilan et circonstances du chaos

Déjà au-lendemain dudit massacre, le gouvernement de la République via son vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur et son collègue le vice-ministre de la Justice parlaient d’une tentative d’évasion. Leur divergence s’est située au niveau du bilan. Dans sa précipitation [à camoufler la vérité], le vice-ministre de la Justice a avancé, pince-sans-rire, le nombre de  2 morts. Quelques heures après, le ministre de l’Intérieur Jacquemin Shabani s’est réservé en attendant le bilan ‘’officiel’’ qui sera annoncé le soir après concertation avec la première ministre qui avait écourté son séjour dans le Kongo Central. Officiellement, on parle de 129 prisonniers décédés dont 26 par balles, 59 blessés et des femmes violées. Bah ! 

« Ces chiffres ne concordent pas avec les témoignages des détenus et les récits des riverains, témoins des va-et-vient incessants des engins qui ont évacué les victimes de ce que certains appellent déjà  opération ‘’Effacer le tableau’’», écrit Steve Wembi. Il poursuit son récit en ces termes : «135 corps ont été chargés à bord d’un camion benne de l’armée sans compter qu’avant eux, d’autres corps avaient déjà été évacués vers la morgue de l’hôpital Sanatorium (Sana) à Selembao», confirmait un chargeur des corps. Dans le pavillon 4 où tout avait commencé, plus de 250 corps sans vie ont été comptabilisés. Ces derniers ont été mis dans «Kikalungu» (camionnette de la police), pour une destination inconnue (peut-être vers l’hôpital), après deux tours de chargement ». 

La Fondation Bill Clinton pense aussi qu’il y a eu plus ou moins 10 % des détenus disparus. Cette organisation pour la paix constate une réduction très sensible de la population carcérale. Les effectifs ont baissé de 15.005 à 13.009. Voilà pourquoi elle s’interroge sur la fiabilité du bilan présenté par les autorités. Cette déduction ne s’éloigne pas du titre donné par Steve Wembi intitulé : «Plus de 1500 disparus, plus de 120 déclarés morts, massacres à huis clos à Makala». Pour Maggy……., un ancien détenu de Makala en cavale, dans une interview accordée à un journaliste dont la vidéo circule sur la toile, il a eu difficile d’avancer le chiffre. Mais il a affirmé que le bilan provisoire tel qu’avancé par les autorités est de loin inférieur de la réalité. Car, à l’en croire, les tueries ont continué même 24 heures après. Les prisonniers entassés dans un pavillon auraient été tués par étouffement au moyen des grenades lacrymogènes.   

Officiellement, le gouvernement reste sommaire en parlant seulement de la tentative d’évasion. Les circonstances ne sont toujours pas élucidées. Steve Wembi relate les péripéties selon plusieurs témoignages. « D’après les témoins, le mouvement était parti du pavillon 4. Pour cause, l’obscurité due au manque de l’électricité, l’étouffement et la surpopulation. Celui-ci [mouvement] va s’étendre dans d’autres pavillons notamment 9, où les femmes détenues se verront honteusement violées en masse ». C’est presque la même opinion qu’avance Magy, un acteur politique en exil et ancien locataire du CPRK qui dit garder des contacts avec des personnes à qui il apportait soutien lors de son emprisonnement. Pour lui, à en croire une vidéo qui circule et où il est interrogé par un journaliste, tout serait parti de la coupure du courant électrique à la suite d’une grande pluie qui s’est abattue sur la capitale congolaise. Certains prisonniers auraient été électrocutés, dit-il. Ce qui va occasionner la bousculade et la confusion. Mais auparavant, poursuit-il, une rivalité entre les jeunes de la milice ‘’Force du progrès’’ de l’UDPS pro-Tshisekedistes avaient engagé une bagarre rangée contre les pro-Kabund au sein de ce lieu carcéral. Les forces internes de sécurité dite ‘’PM’’ auraient été débordées et n’avaient pas su contenir le mouvement en raison de leur faible effectif. Une alerte serait alors lancée par les responsables de ladite prison quant à ce danger qui couvait. Le même auteur renseigne d’après ses recoupements que : « Les troubles ont débuté dans le pavillon 4, où les prisonniers ont tenté de forcer la porte en raison de l’étouffement et de la surpopulation. Par contagion, d’autres pavillons ont également tenté de s’évader en forçant leurs portes. Les militaires chargés de la garde ont alors ouvert le feu sans sommation » avait indiqué un responsable de ce centre pénitentiaire à infosdirect.net.

Malheureusement, dans le souci de rétablir l’ordre, un dérapage sera enregistré de la part des services de sécurité, qui vont commettre en pleine nuit le plus grand carnage et massacre jamais connu au sein d’une maison carcérale en République démocratique du Congo. Plus qu’un dérapage, les militaires commis à la garde de la prison ont tiré avec la volonté de donner la mort à des prisonniers désarmés, sans sommation et à bout portant ».

Par contre, lit-on toujours sur les réseaux sociaux, le directeur et chef du centre, Joseph Yusufu Maliki qui serait en cavale pour l’instant, aurait relevé 3 faits importants, à savoir : l’ordre de couper le courant – le recours au plan B après l’échec – et sa peur de mourir. « On m’a donné l’ordre de couper le courant pour que ceux qui venaient pour faire la mission le fassent tranquillement. Les choses ont mal tourné. Ils ont mis en place le plan B, tiré sur les prisonniers pour dire qu’ils tentaient de s’échapper. Pourquoi ils veulent me tuer ? Moi j’ai fait ma part du marché. C’est eux qui n’ont pas pu. J’ai échappé à la mort 7 fois. Il fallait fuir hors du pays ». De qui a-t-il reçu l’ordre ? Qui sont ceux-là qui ont réellement tiré ? Pourquoi a-t-il fui ? Voilà autant de questions qui restent et resteront un mystère sans qu’une enquête indépendante ne soit diligentée comme le réclament les défenseurs de droit de l’homme. Une  information judiciaire à son encontre a été instruite par le VPM de la Justice et Garde des Sceaux.

A ce stade rien ne confirme ou infirme ces allégations prétendument attribuées au directeur de la prison. Voilà qui appelle les autorités congolaises à retrouver ce principal témoin de l’évènement macabre. Il est sans doute la personne la mieux indiquée pour éclairer la lanterne de l’opinion, à défaut de ses collaborateurs auxquels on ne fait aucune allusion.

Un acte de sabotage

Les propos fracassants du Vice-ministre et ministre de la Justice et Garde des Sceaux Constant Mutamba qui viennent presque de corroborer les autres récits. A son arrivé dans la capitale, l’homme d’Etat n’a pas caché sa colère et sa désapprobation. Il était plus que catégorique : « j’ai alerté, alerté, tous se sont constitués contre moi. Et voilà le résultat. Ça c’est un sabotage. Chaque semaine les magistrats envoient des détenues à Makala sans tenir compte de la capacité d’accueil. Moi j’ai désengorgé, ils ont envoyé le double», a-t-il déclaré à chaud. Constant Mutamba a affirmé haut et fort qu’il s’agissait d’un complot. « Vous venez sortir des gens clandestinement. Ce n’est pas une évasion, plutôt un sabotage», a-t-il ajouté. Poing sur la table, il promet des sanctions sévères. Son adjoint avait déjà martelé dans le même sens au-lendemain de l’évènement. Ce qui a poussé les membres de la haute magistrature de lever le bouclier par une déclaration. 

Le même 2 septembre, l’on apprendra le cambriolage et l’empoisonnement du bureau du VPM de la Justice. Le communiqué 032 du 04 septembre [dont la copie ci-dessous] affirme les résultats de la police scientifique. 

Bilan mitigé et provisoire

Le bilan provisoire officiel est de 129 morts contrairement au nombre de 2 morts avancé précipitamment par le vice-ministre de la Justice. Cependant, ni l’identification des concernés, ni les circonstances de ces affres ne sont pas toujours élucidées. L’on craint que plusieurs personnes ne soient enterrées incognito sans que leurs familles ne le sachent connaissant l’état de l’administration carcérale en RDC. Ce n’est un secret de polichinelle, certains détenus sont l’affaire personnelle des magistrats et nombreux ne sont jamais jugés ni condamnés. 

Selon le rapport de la FBCP dont l’extrait repris pas Steve Wembi, on peut lire ceci : «Nous constatons que le nombre des décès avancé par le Gouvernement Congolais est erroné si nous devons faire un calcul simple de 15005 détenus au jour du 1er septembre – 13 009 le 06/09/2024- 100 détenus transférés à la prison militaire de Ndolo et une soixantaine des blessés internes dans les hôpitaux donne une différence d’un nombre supérieur à 129 décès avancé par le Gouvernement. Raison pour laquelle, nous osons poser la question de savoir, où se trouvent les autres prisonniers après 2 Septembre 2024». Le doute sur le bilan persiste et se renforce davantage.

Plusieurs hypothèses soulevées

Une certaine opinion abonde dans le même sens que le VPM de la Justice et Garde des Sceaux, Constant Mutamba. Il s’agirait d’un complot pour nuire à son dynamisme à remettre l’appareil judiciaire sur le rail en vue de répondre tant soit peu au principe universel de l’Etat de droit. Certains magistrats voient en ce jeune ministre celui qui vient de leur arracher le beefsteak à la bouche.

Selon certains prisonniers rescapés, l’incident pourrait être une manœuvre visant à évacuer des militants de la milice de l’UDPS dite Force de progrès. D’autres hypothèses suggèrent un complot visant à éliminer dans ce cafouillage certains officiers militaires emprisonnés sans jugement et des personnalités politiques. En l’occurrence les généraux d’origine katangaise pourraient être visés, pense-t-on. Ce qui explique la crainte de leurs proches qui pensent ouvertement que dans cet état des choses, leurs vies sont en danger. Dans la foulée, on cite les généraux Philémon Yav dont le dossier n’est jamais fixé, Djadjidja Katanga Zelu et autres ainsi que Jean-Marc Kabund a Kabund, Mike Mukebayi. 

Cet événement dramatique s’est déroulé malheureusement en l’absence du Chef de l’État qui participait au Forum Chine-RDC à Pékin. La première ministre Judith Suminwa était aussi absente de la capitale et a dû écourter son itinérance dans le Kongo Central. Le Vice-ministre et ministre de la Justice, Constant Mutamba est rentré sur Kinshasa 5 jours après. 

La psychose dans la capitale congolaise était également secouée ce jour-là et amplifiée par une grève illimitée annoncée par les syndicats d’enseignants, compliquant encore la rentrée scolaire. Cet événement s’ajoute aux récentes violences à Kilwa et à Luilu à Kolwezi, créant un climat de crise qui ravive les tensions et les inquiétudes sur les droits humains en République Démocratique du Congo.

Il faut noter que le Président Félix Tshisekedi prône chaque jour l’instauration de l’état de droit. Malheureusement, les évènements récurrents font preuve d’un rétropédalage significatif qui met à nu les violations massives des droits humains.

La CENCO désapprouve la banalisation de la vie

Se trouvant toujours du côté des faibles et des marginalisés, le clergé catholique membre de la conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) par le billet de son président en exercice, Mgr Fulgence Muteba Mugalu, Archevêque métropolitain de Lubumbashi a refusé de se taire devant cette nième violation de droit à la vie et du respect à la dignité humaine. Dans sa déclaration du 4 septembre 2024, la CENCO exprime sa désapprobation de la manière dont la vie humaine est banalisée en RDC avec toutes ces tueries en surnombre, soir par les militaires sans raison, soit par les effets de guerre, soit par la négligence coupable, de la légèreté, de la corruption dans le système judiciaire ainsi que de la mauvaise gouvernance. Les pasteurs catholiques pensent que ces phénomènes sont la pointe de l’iceberg qui cache un drame plus profond. Ils ont exhorté au respect de la vie humaine, don de Dieu et sacrée, même des prisonniers. Ils en appellent à tous à la culture de la non-violence. [Lire in extenso la déclaration ci-dessous]

Entre temps, quelques mesures ont été prises pour éviter que pareille situation ne se répète. Il s’agit de l’interdiction de transfert des détenus à la CPRK par les magistrats [mesure déjà contredite et attaquée par le Conseil supérieur de la magistrature] – l’accélération du processus de désengorgement – suivi de la construction de la nouvelle prison en dehors de la ville.  

Jeef Mwingamb

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